Avis : le dénigrement ne dépasse pas les limites de la liberté d’expression
Dans un arrêt du 7 septembre 2023, la cour d’appel de Paris a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner le retrait des URL pointant vers des discussions assez virulentes envers une société, jugeant que le dénigrement allégué ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression.
Sur la plateforme communautaire de signalement de pratiques douteuses en ligne, Signal-arnarques.com, des internautes s’étaient plaints d’avoir été démarchés abusivement par la société APE lors de la création de leur entreprise. APE s’adressait aux entrepreneurs pour leur proposer ses services d’affichage, par l’envoi d’une lettre comportant les mentions « Affichage obligatoire » et « sanctions pénales », assortis de tarifs et de modalités de paiement. En petit, on pouvait cependant lire que l’offre était facultative. Dans les discussions, les internautes se plaignaient aussi d’une possible confusion avec un organisme officiel qui solliciterait les sociétés pour une démarche légale alors que l’offre émanait d’une société de droit privé et n’hésitaient pas à employer le terme d’« arnaque ». Suite à la publication de ces avis négatifs, APE a demandé au tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de l’article 6-I-2 et 8 de la LCEN, d’ordonner à Signal-arnaques.com, en tant qu’hébergeur, le retrait d’URL pointant vers ces discussions et ces propos considérés comme dénigrants, invoquant un préjudice commercial et moral.
Confirmant le jugement de première instance, la cour a refusé d’ordonner le retrait des URL en cause au nom de la liberté d’expression. Elle commence par rappeler que le sujet revêt sans conteste un intérêt général, s’agissant de l’information des entreprises démarchées par une société lors de leur création. Puis elle se penche sur la teneur des messages, et estime que « la base factuelle des propos apparaît sérieuse, une confusion pouvant naître dans l’esprit d’entrepreneurs peu informés, ce d’autant que l’intimée rappelle que les formalités d’affichage ne sont pas nécessairement obligatoires pour les autoentrepreneurs et les indépendants sans salariés ». La cour poursuit en affirmant que « si les propos visés sont empreints d’une certaine virulence, ils n’apparaissent pas dépasser la libre critique et les limites admissibles de la liberté d’expression, étant observé que l’emploi du terme “arnaque” ne renvoie pas, comme l’a indiqué le premier juge, à une infraction pénale d’escroquerie, mais plus à l’acception la plus large du terme, à savoir un engagement n’apportant pas le gain attendu et faisant naître une déception chez l’utilisateur du service ». Et elle ajoute qu’« il en va de même des mentions relatives aux “pratiques frauduleuses” ou “déloyales”, à des “faux”, à des “gangsters”, ou encore des propos relatifs à une société visant à soutirer de l’argent ou faisant état d’un nécessaire signalement à la DGCCRF, tous ces termes, employés par des personnes s’estimant avoir été victimes d’agissements douteux, étant à replacer dans la libre critique d’internautes, déçus par le service, évoquant leurs expériences personnelles et cherchant à aviser les autres personnes pouvant être contactées par APE ». Enfin, la cour reproche à APE de ne pas avoir utilisé les outils du site pour répondre aux commentaires et apporter la contradiction, de nature à relativiser les critiques ainsi émises.
APE est condamnée à verser 3 000 € à Heretic au nom de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais qu’elle a dû engager pour se défendre ainsi qu’aux dépens d’appel.