Le cloud est un support soumis à la redevance pour copie privée

Dans un arrêt du 24 mars 2022, la Cour européenne de l’Union européenne estime que « l’expression « reproductions effectuées sur tout support », […], couvre la réalisation, à des fins privées, de copies de sauvegarde d’œuvres protégées par le droit d’auteur sur un serveur dans lequel un espace de stockage est mis à la disposition d’un utilisateur par le fournisseur d’un service d’informatique en nuage ». Elle a ainsi interprété l’article 5, paragraphe 2, sous b) de la directive du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information
Dans cette affaire, un fournisseur de service de stockage dans le cloud était en litige avec la société de gestion collective autrichienne des droits d’auteur au sujet de la rémunération due au titre du droit d’auteur. Le fournisseur de solutions cloud affirmait s’être déjà acquitté en Allemagne, où ses serveurs sont hébergés, de la redevance imposée au titre du droit d’auteur, cette redevance ayant été intégrée au prix de ces serveurs par le fabricant ou l’importateur de ceux-ci. Il a ajouté que les utilisateurs situés en Autriche avaient également payé une redevance pour la réalisation de copies privées sur les appareils terminaux nécessaires pour charger des contenus dans le cloud. Le tribunal de commerce de Vienne a donné gain de cause au fournisseur de cloud mais le tribunal régional supérieur a sursis à statuer et a posé deux questions préjudicielles à la CJUE.
Le tribunal a d’abord demandé à la Cour d’interpréter la notion « de tout » support » qui figure à l’article 5, paragraphe 2, sous b) de la directive du 22 mai 2001. Celui-ci dispose que les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction « lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non-application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés ». La Cour commence par indiquer que l’expression « reproduction » doit être entendue au large, prenant en compte le fait que les actes couverts par le droit de reproduction bénéficient d’une définition large pour assurer la sécurité juridique au sein du marché intérieur. Elle ajoute que le droit de reproduction découle également de l’objectif principal de la même directive, qui est d’instaurer un niveau de protection élevé en faveur, notamment, des auteurs. Pour ce qui est de la notion de « tout support », la Cour rappelle que peu importe qu’un « espace de stockage mis à la disposition de l’utilisateur par un fournisseur d’un service de cloud pour la réalisation d’une copie » ne soit pas défini par la directive et ne comporte pas de renvoi au droit des Etats membres pour en définir la portée. Il est, en effet, de jurisprudence constante que la Cour « doit trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de la disposition concernée, mais également de son contexte et de l’objectif poursuivi par la réglementation dont cette disposition fait partie ». Au vu des textes, elle affirme donc que la directive est susceptible de s’appliquer à des reproductions effectuées par une personne physique à l’aide d’un dispositif qui appartient à un tiers, sur tout support. Elle rappelle aussi que la directive « vise à créer un cadre général et souple au niveau de l’Union pour favoriser le développement de la société de l’information et à adapter et à compléter les règles actuelles en matière de droit d’auteur et de droits voisins pour tenir compte de l’évolution technologique, qui a fait apparaître de nouvelles formes d’exploitation des œuvres protégées ».
Dans sa seconde question, le tribunal voulait que la Cour se détermine sur le fait de savoir si cette disposition de la directive s’oppose à ce qu’une réglementation n’assujettisse pas les fournisseurs de services de stockage dans le cadre de l’informatique en nuage au paiement d’une compensation équitable. Et la Cour a répondu qu’elle ne s’y oppose « au titre de la réalisation sans autorisation de copies de sauvegarde d’œuvres protégées par le droit d’auteur par des personnes physiques, utilisatrices de ces services, pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, pour autant que cette réglementation prévoie le versement d’une compensation équitable au bénéfice des titulaires de droits ».