Emmanuelle : primauté du droit d’informer sur le droit d’auteur

« La condamnation de la SAS Marie Claire Album au paiement de dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi par M. X ne se réclamerait d’aucune nécessité, ne répondrait pas à un besoin social impérieux de protection du droit d’auteur, constituerait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression et serait, partant, contraire à l’article 10 de la CESDH ». Dans son jugement du 31 mars 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a ainsi rejeté les demandes de l’auteur de la photographie montrant Sylvia Kristel dans un fauteuil en rotin et qui avait servie à la promotion du film Emmanuelle, réalisé par Just Jaeckin.
Le photographe reprochait au site Staragora.com d’avoir reproduit et diffusé cette photo sans son autorisation ni mention de son nom, à l’occasion du décès de Sylvia Kristel en 2012. Si la matérialité de la contrefaçon n’a pas été contestée, le débat s’est porté sur l’exercice de la liberté d’expression de l’éditeur et de l’atteinte éventuelle disproportionnée que lui causerait une condamnation pour contrefaçon. Pour résoudre cette équation, le tribunal a procédé à un contrôle de conventionnalité des dispositions internes opposées et s’est assuré que la reconnaissance des droits du photographe ne constituerait pas une ingérence disproportionnée a but légitime reconnu par l’article 10.2 de la convention européenne des droits de l’homme.
Le tribunal commence par évoquer le fait que la page en question, sur un site désormais inexistant, a été diffusée pendant six ans mais n’a été consultée que 76 fois, et que le cliché a servi d’illustration pour un article sur le décès de la comédienne. Le tribunal en conclut que « si l’information portée à la connaissance du public par le truchement nécessaire de la reproduction de l’œuvre en débat n’est pas d’une importance majeure pour le débat public et ne mérite pas le niveau de protection accordée à l’expression et au discours politiques, l’intensité de l’atteinte au droit d’auteur de M. X est à ce point faible que la restriction à l’exercice de la liberté d’expression de la SAS Marie Claire Album qu’engendrerait une condamnation ne se justifie par aucun besoin social impérieux ». Et surabondamment, le tribunal considère que « même dans le cadre d’une mise en balance, les demandes de M. X auraient, dans ces circonstances particulières, été rejetées, rien ne justifiant concrètement que, en l’absence d’atteinte autre que de principe à un droit d’auteur à l’endroit duquel son titulaire a manifesté une certaine distance tant dans ses délais d’action que dans ses propos publics, le droit de propriété prime la liberté d’expression exercée pour traiter un évènement d’actualité ».