Linagora / Blue Mind : la garantie d’éviction limitée dans le temps

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 novembre 2022 signe la fin du feuilleton judiciaire issu d’un conflit entre anciens associés de Linagora, qui avait défrayé la chronique du monde de l’open source en 2014. La cour d’appel a jugé que les deux ex-associés qui avaient fondé Blue Mind plusieurs années après avoir cédé leurs parts de Linagora (qui avait racheté Aliasource) n’avaient pas violé la garantie légale d’éviction à laquelle ils étaient tenus du fait de leur qualité de cédants des titres de la société Aliasource, pour des faits qui ont tous eu lieu plusieurs années après la cession. Ces faits « ne peuvent entrer dans le champ protecteur des droits du cessionnaire de la garantie légale d’éviction, qui doit nécessairement être limitée dans le temps pour ne pas contrevenir au principe à valeur constitutionnel de la liberté d’entreprendre ». Cette décision intervient sur renvoi d’un arrêt de la Cour de cassation qui avait partiellement invalidé la première décision d’appel. En concluant que les dirigeants de Blue Mind avaient manqué à leur obligation née de la garantie légale d’éviction « sans rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés », la cour d’appel avait privé sa décision de base légale, a estimé la Cour de cassation.
Deux associés avaient créé la société Aliasource, proposant des solutions open source, qui avait été rachetée en 2007 par Linagora. Ils avaient conservé des responsabilités de salariés dans le nouveau groupe. Mais en 2010, ils avaient démissionné de leurs fonctions et revendu leurs actions à Linagora, en raison de divergences de vue avec la direction. L’un d’eux a créé la société Blue Mind et le second l’a rejoint après. Linagora leur a reproché d’avoir violé la garantie légale d’éviction en lui interdisant de jouir de la possession paisible de la chose vendue. Elle soutenait que ses deux ex-associés lui avaient causé un préjudice par le fait d’avoir démarché et détourné sa clientèle, dénigré son logiciel OBM, capté parasitairement son savoir-faire intellectuel et industriel, de s’être approprié illicitement la technologie cédée à Linagora, d’avoir débauché des salariés, désorganisé la société et créé une société concurrente, Blue Mind.
La cour d’appel rappelle qu’en cas de cession de parts sociales, le cédant est tenu, comme dans toute vente, à garantie contre l’éviction dans les conditions prévues par les articles 1626 à 1640 du code civil et il doit s’abstenir de tout acte de nature à empêcher la poursuite de l’activité économique de la société. Cependant, ajoute-t-elle, « cette exigence légale de non-concurrence née de la garantie d’éviction doit être proportionnée à la protection des intérêts légitimes de l’acquéreur à raison de l’acquisition à laquelle il a procédé et ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l’industrie, et par conséquent, à la liberté d’entreprendre, qui a valeur constitutionnelle. Le respect du principe de la liberté du commerce et de l’industrie exige ainsi que l’interdiction de concurrence soit délimitée quant à l’activité interdite d’une part et quant au cadre spatiotemporel dans lequel cette activité est interdite d’autre part. Cette délimitation doit s’apprécier in concreto, au regard de l’activité et du marché concernés ».